Un voyage, pas si imaginaire que ça...

Nous savons chers Lecteurs que vous aimez tous cette rubrique qui, à chaque édition, vous fait rencontrer de nouveaux horizons. Cette fois, nous nous sommes fait un peu aider car nous pensions déjà avoir fait le tour des attractions dont tout le monde parle, des restaurants 'in' du moment, des magasins où il fait bon faire du shopping, des nouvelles tendances côté aménagement intérieur, etc etc... Notre reporter spécial a pourtant su dénicher une autre perle, pour votre plus grand appétit de connaissance! De quoi s'agit-il par conséquent? Est-ce un gadget dernier cri? Une invention fabuleuse? Une crique inexplorée? Non, non, non! Cessons ce suspence palpitant et laissons plutôt la parole journalistique!

Une découverte surprenante a en effet été faite dimanche 25 dans le petit village de Yungaburra par nos deux voyageurs favoris... Leurs pas les ont mené directement, au hasard d'une balade, dans un endroit presque magique! Puis c'est au détour d'une rue que nos deux indivudus ont été retrouvés, très loin dans leurs pensées. Notre reporter les a interrogé sur leurs impressions :

Le reporter de la GdCD : " Alors, que pouvez-vous nous dire sur cet endroit?

Bubulle : - Vous le savez comme nous, c'est une librairie! Même le Lonely Planet l'avait repéré avant nous! C'est surtout Moune qui a insisté, moi vous savez, à part les livres de voiture, j'étais pas très chaud, et puis, finalement ça m'a plu!

Reporter : - Qu'est-ce qui vous a attiré là-bas, dites-moi?

Stella : - Le jardin déjà, c'était un jardin accueillant, et puis, de dehors, c'est vrai ça a plutôt l'air d'une simple maison!!! Mais il y avait autre chose...

Bubulle : - C'est la pancarte 'Open' dehors qui m'a dit qu'on était les bienvenus!! Et puis, on peut traîner, le week-end, c'est fait pour ça!!!

Reporter : - Et comment est-ce à l'intérieur alors?

Stella : - Vous devriez aller jeter un coup d'oeil par vous-même, on voudrait pas vous retirer la surprise!

Reporter : - Très bien, vous avez piqué la curiosité de nos lecteurs, on va y passer! Merci de votre attention!

Stella & Bubulle : - You're welcome! See you! "

La découverte, la star de notre article, la voilà : la librairie 'Spencer & Murphy Booksellers', 09 Cedar Street, Yungaburra, Queensland, Australia... Dans ce petit village d'à peine 2000 habitants, les seules attractions restent le pub 'Lake Eacham Hotel', entreprise familiale où tous les locaux se retrouvent le soir autour d'une bière ou d'une partie de billard et le fameux 'market', tous les derniers dimanches du mois, avec ses quelques centaines d'étales d'artisanats locaux. On se dit que c'est étrange donc de s'arrêter dans une librairie pour ces vadrouilleurs alors que ce n'est pas spécialement touristique... Ah mais oui, nous avions oublié, ils viennent de France, et en France précisément, il y a des brocantes, des vides-greniers, des antiquaires, des marchés aux puces, des ventes à la sauvette, ... En Australie, premièrement, pas vraiment d'objets anciens, vous le savez tout comme nous ; deuxièmement, il n'y a que les 'garage sales' ou les magasins 'second hand' (objets et meubles d'occasion ndlr) qui pourraient faire office de commerce direct et impromptu afin de refiler ses vieilleries.. Toujours est-il que l'on comprend mieux pourquoi ils ont plus l'habitude que nous de fouiner, pour dénicher on ne sait quelles bizzareries du genre, qu'aucun autre n'aurait l'idée de chercher!!

Nous y sommes à présent, une librairie, oui, mais encore? Effectivement, c'est une maison d'habitation classique du type Queenslander, restructurée à moitié pour pouvoir accueillir livres et clients! On passe le portique et le jardin paisible, quelques marches à gravir pour arriver à la terrasse supérieure où tables, magazines, livres et sous-tasses n'attendent plus que des mains inconnues et solitaires pour reprendre vie l'espace d'un instant. Et puis la porte d'entrée grande ouverte, on ose jeter un coup d'oeil à l'intérieur....... A droite un petit bureau où trône l'ordinateur et la caisse, à gauche déjà quelques livres. Un couloir étroit me mène tout droit vers la première pièce, des étagères en bois s'étendent jusqu'au plafond, les ouvrages en désordre rangés m'attirent l'oeil inévitablement! Ils sont partout, des volumes, des volumes, de poche ou de collection, à couverture en papier ou reliés à la main, d'éditeurs connus ou d'écrivains étrangers,... Des écrits en besoin évident de compagnie, des oeuvres dont on sait que leur lecture va changer notre vie, des romans cinglants, des polars trépidants, des biographies passionnantes, des documents captivants... Des tonnes et des tonnes de pages, de lignes, de phrases et de mots, telle une littérature à portée de main, là, juste là, qui nous appelle, qui nous fait signe depuis son promontoire, mine de rien, légère comme un plume...

Mais attendez, vous vous dites sans doute que ça n'en vaut pas la peine, non, de toute façon, vous n'aimez peut-être pas la littérature, lire des bouquins, c'est pas votre truc, les librairies sont toutes pareilles, des planches, des titres, des réductions pour solder les derniers contes de fées ou histoires à l'eau de rose avant Noël, mais ce n'est pas du tout ça! Même en tant que reporter, je pensais exactement la même chose -Bubulle le poisson clown aussi- mais c'était AVANT de connaître ce 'store'! Celui-là est différent, pas uniquement parce qu'il est situé tout au bout d'une rue non passante, non, il est différent car tous, on ressent tous quelque chose d'indescriptiblement inattendu! Car ces couloirs et ces pièces, si petites mais si accueillantes, ces meubles de tous les styles, de tous les âges, aux tiroirs entrouverts qui laissent entrevoir la couverture d'un inoubliable traditionnel littéraire,... Et ce parquet en bois qui grince, ces fauteuils énormes en cuir et en velours rouge dans lesquels on s'assoit sans pouvoir ni vouloir en ressortir, ces lumières douces et tamisées de grands lampadaires anciens, ces fenêtres au verre un peu vieilli qui donnent sur la verdure du minuscule parc extérieur... Et cette musique, si belle, si douce, en sourdine, qui vous accompagnent dans les prémisces de votre lecture, c'est du Mozart, et du Chopin, du Beethoven peut-être... Un classique, toute une vie!

Et tout de suite, waouh! Ils avaient raison, ça m'a pris aussi (ou 'repris' plutôt, car qui connaît la cabane du pêcheur au fond du jardin de Roger, connaît forcément également ce dont on veut parler! Ndlr mdr!)!! Je me laisse emporter, je prends un livre, puis deux, puis quinze, je me laisse envahir par l'appel de ces coussins mouilleux et par le confort de ces textes, je traîne, je me relève ne sachant même plus quelle heure il peut bien se faire, si j'avais des rendez-vous dans l'après-midi et des plans en soirée, ne pouvant plus me souvenir dans quelle poche de mon jean j'avais glissé mes clés en rentrant, ne pensant plus à rien, me laissant aller complètement à cette balade en plein comme dans un rêve, un songe éveillé au coeur des livres et des bibliothèques regorgant chacune de plusieurs milliers de trésors colorés. Un espace temps hors norme dont jamais je n'aurai pu imaginer une seconde pouvoir me retrouver à nouveau...

Car oui, je connaissais déjà cette impression mais ressentir encore si fort et subitement ce sentiment de bien-être dans cette librairie peu commune, c'était comme avoir eu le mot de passe et me retrouver tout à coup dans la Caverne d'Ali Baba. Avoir retrouvé la boîte de Pandorre et l'ouvrir enfin, un Saint Graal porté en soi dont on aurait oublié la présence et qui ressurgi précipitamment. C'est comme avoir échappé à la vigilence de ses grand-parents pour escalader l'escalier qui mène au grenier... On est persuadé de découvrir de mystérieux objets et des tiroirs secrets qui s'ouvriraient en un clic... On passe des heures à fouiller, regarder les toiles d'araignées, explorer de fond en comble le désordre, examiner avec attention de vieux portraits de famille jaunis par le temps, remuer toutes les affaires dans les coins, ouvrir chacun des placards, renifler dans des endroits improbables, parler à une vieille poupée aux cheveux décolorés, retrouver un jouet et ne plus vouloir le remettre dans sa boîte, découvrir un paquet de lettres froissées comme un signe de lectures trop répétées, à l'écriture tâchée de larmes et enveloppées soigneusement dans un linge brodé, ... On redescend finalement au rez-de-chaussée, bredouille mais content de cette curieuse expédition!

On s'invente des histoires aussi, on redonne le sourire à des personnages ; et si comme moi, vous avez vu ce fameux film, français qui plus est, mythique comme ses mélodies, nommé 'Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain', vous comprendrez aisément de quoi je veux parler! Quel rapport avec la librairie de Spencer et Murphy me direz-vous? Patience, nous y venons! Cet acteur, qui se voit restituer des années après sa 'boîte aux secrets', se replonge soudainement dans son enfance, il se revoit jouer avec cette voiture, se souvient de cette petite note amoureuse pliée en douze, se remémore l'instant où cette photo avait été prise, ... Mais, plus ancré dans la réalité, prenons comme autre exemple notre propre personne!!! Devenu adulte, avec des pensées et des soucis d'adulte, vous organisez une visite pour les vacances chez vos propres parents. Les choses ont changé, vous avez grandi! Vous discutez de votre carrière, vous-même allez bientôt devenir parents! Les repas s'enchaînent, on se balade, on pleure, on rit! On se serre très fort dans les bras au moment de partir mais vous vous apercevez avoir oublié votre vanity ou votre sacoche d'ordinateur (les indispensables ndlr!), certainement resté dans la salle de bain ou au bureau à l'étage. Vous filez en trombe au premier pour récupérer votre bien et, arrivé là, vous êtes éblouï par un rayon de lumière, le soleil évidemment, qui provient de... La porte d'entrée de votre ancienne chambre, au fond du couloir, dans laquelle vous n'avez pas pris le temps d'aller ou pas osé entrer durant le week-end... C'est comme cet appel, ce signe du destin, cette 'coïncidence' hazardeuse, ... Bon, ok, la salle de bain et le bureau, c'est de l'autre côté, mais ça vous donne envie, vous entrez.. Et là, même dans la trépidation du moment (si vous partez trop tard, vous aurez les embouteillages de fin du dimanche, c'est certain!), vous vous laissez aller. Dans un silence de glace, vous repensez à tous ces matins où vous vous êtes levés en retard alors que c'était école, à tous ces soirs où vous avez été forcé de faire vos devoirs, .... Vous vous replongez dans votre espace que vous aviez cru passé, interdit (l'enfant disparait dès lors qu'il quitte ce cocon ou cet enfer familial)... Vous avancez vers la fenêtre.. Ah oui, c'est vrai, la balançoire! Les sièges y sont vides désormais mais vous ne pouvez vous empêcher de la regarder avec le sourire ; c'est comme cette armoire à la peinture écaillée ou ce trou dans la moquette au fond, à gauche, vous seuls savez que vous aviez voulu prendre un échantillon pour observer les acariens et ainsi rendre votre devoir de biologie plus intéressant, sauf que votre microscope n'était pas des plus performants, du coup punition de maman-cheveux hérissés sur la tête et intervention délicate de papa-bricolo... Ah oui, et ces vieux bouquins d'école, cette corde à sauter ou ce magazine pour les filles qui trainent encore sur l'étagère.. Ou encore ces posters de rock et ces fringues pour ado que personne ne s'est finalement résolu à jeter! Et ces cassettes audio aux musiques 'has been' mais qu'on réécoute comme si c'était le plus grand tube de tous les temps! Tout nous revient, on n'oublie rien, on se sent bien... "Alors, c'est pour aujourd'hui ou pour demain?" Ni aujourd'hui, ni demain mais hier! En bas, ok, ils s'impatientent! On les avait zappé, les autres, la maison, le présent, ... Rien que quelques secondes, juste parce qu'on s'est retrouvé dans cette bulle intemporelle, celle de notre enfance, celle qui peut se glorifier de pouvoir encore nous arracher de notre réalité overbookée du moment, mieux que n'importe quel cours de yoga ou de séance de relaxation! Et malgré une nostalgie certaine, on se trouve obligé de repartir et de raccrocher à la vie, qui défile, qui ne prend pas le temps de s'arrêter, elle, pour le moment! Et c'est ce sentiment-là en particulier, pas un autre non, celui-là, vous voyez maintenant? On le ressent comme un électro-choc, d'une vision en flash en souvenirs désorganisés, vous êtes là, vous vous détachez de tout ce qui peut bien vous entourer et vous vous prenez à penser, à lire, à sourire, à rêver, à l'émotion la plus paisible, la plus douce, la plus belle, la plus reculée... "Ben alors, qu'est-ce que tu foutais? T'es allé la chercher où ta malette, dans l'espace?" Oui, voilà, vous avez deviné, l'espace! Un espace secret, un endroit précieux. Chacun renferme le sien comme dans un écrin de soie et on ne peut décrire à personne ce bijou, sauf si au cours d'un magnifique voyage littéraire comme moi, vous vous êtes accordé ce plaisir de savoir réapprécier ce joyau enfoui sous la poussière de sa mémoire!

Si une telle virée vous tente, après réflexion, vous trouverez tous les renseignements utiles sur cette librairie enchanteresque sur le site internet www.spencerandmurphybooksellers.com ou faites comme moi, interviewez des voyageurs ou interrogez le propriétaire des lieux. Collectionneur passionné de livres rares, il aurait eu l'idée de cette librairie en visitant la boutique parisienne de Shakespeare&Company,  justement faisant référence au Kilomètre Zéro (to find out more, visit the site : http://shakespeareandcompany.com/) mais il saura surtout vous donner envie de rester plus longtemps encore... Comme quoi, les trésors ne sont pas forcément là où on les imagine souvent!